Lycée Maria Assumpta
Ivan Walraevens
Maxim Dereere
Julie Agneessens
Sous une chaleur intense, les
ruelles de Bagdad sont animées de leurs bruits quotidiens.
Les artisans sont au travail. De lourdes effluves se dégagent
du souk des épices. Les commerçants marchandent et
entre deux affaires boivent du café.
Mais ce jour-là, la
ville des califes fait grise mine.
Aucun cri, aucun rire, les voix sont discrètes, les
marchandages qui habituellement s'éternisent, sont
expédiés; les discussions sont imprégnées
de tristesse, de révolte et surtout de crainte.
Nous sommes en octobre 1968.
Le cousin de Saddam Hussein a dissous le gouvernement existant et
s'est installé au pouvoir. Il a éliminé les
officiers de l'ancien régime et entend bien régner en
maître.
Il vient de déjouer un coup d'état et a condamné
à mort tous les traîtres qui avaient osé essayer
de le renverser.
Aujourd'hui le coeur de Bagdad a connu les exécutions de
plusieurs d'entre-eux.
Le peuple y a assisté impuissant. La sentence devait servir
d'exemple : les coupables ont été
exécutés, leurs familles sont exclues à tout
jamais et malheur à celui qui les
défendrait.
A quelques kilomètres
de là, dans la petite ville de Karbala, Djamel El Kabat pleure
dans les bras de sa grand-mère et de son oncle.
Plus jamais, il ne reverra ses parents. Ils ont pourtant crié
leur innocence jusqu'à la dernière minute et
l'exécution a eu lieu dans la plus grande confusion.
Djamel et sa famille ne sont maintenant plus dignes d'aucun
respect.
Ils sont Irakiens. Ils aimaient leur pays, leur vie, le soleil
radieux, les déserts proches, les longues soirées entre
amis, les souks, le couscous que les femmes préparaient avec
amour et surtout cette grande chaleur humaine qui toujours les
accompagnait.
Maintenant ils sont considérés comme dangereux et
personne n'oserait plus jamais les côtoyer.
Ces derniers temps, Djamel
avait souvent entendu ses parents parler de l'Occident comme d'un
monde extraordinaire où tout est permis.
Il ne fut dès lors pas surpris d'apprendre que son oncle les
emmenait en Europe.
Il reprit même courage, car là-bas, il serait libre, il
pourrait étudier, avoir de nouveaux amis et vivre heureux avec
ce qui lui reste de famille. Ce serait certainement un petit paradis
et la vie y sera pleine de rebondissements plus palpitants les uns
que les autres.
Dans le soleil couchant, un
paquebot à la coque rouge s'éloigne sur les eaux
couleur d'émeraude.
Dans son ventre d'acier grondent les machines. Entassée dans
un compartiment à bagages, la famille El Kabat y rêve
d'un univers nouveau. Bientôt, les souks, les épices, la
soie, l'encens, les caravanes, ne seront plus pour eux qu'un souvenir
de conte oriental.
A dix heures, la pluie
tombait à Hambourg et la température n'atteignait pas
dix degrés.
Après un voyage long, fatigant et inconfortable, Djamel,
grelottant de froid, fit connaissance avec l'Europe.
Tristesse et froideur furent ses premières impressions.
Les gens parlaient un charabia qu'il ne comprenait pas. Ils portaient
des vêtements qui lui apparurent comme aberrants et ils
s'agitaient d'une manière qui lui était inconnue.
Son oncle et sa grand-mère essayaient de passer
inaperçus mais leur allure inquiéta vite les douaniers
qui, soupçonneux, s'avancèrent vers eux. L'allemand
leur étant totalement inconnu, aucune discussion ne fut
possible. Ils furent retenus à la douane pendant de longues
heures au cours desquelles ils virent défiler devant leurs
yeux une série de papiers incompréhensibles.
Les douaniers ont téléphoné à plusieurs
endroits et après maintes discussions Djamel et sa famille
furent conduits dans une gare et embarqués dans un train en
partance vers Paris.
Djamel ne se souvient plus
que d'une faim intense et d'un désoeuvrement total.
L'exclusion recommençait-elle ?
L'Europe n'était-elle qu'un faux paradis inventé par
les Irakiens déçus de leur nouveau régime et
assoiffés d'espoir ?
PARIS !!! Les grandes avenues
arborées, les magnifiques monuments, les restaurants, les
musées, les ponts qui enjambent majestueusement la Seine, la
richesse ...
Ce sont des gendarmes qui accueillirent Djamel et sa famille à
la gare et qui courtoisement les dirigèrent vers une grande
maison spécialement aménagée pour recevoir des
réfugiés de tous pays.
Une soupe ravigotante leur fut servie et ils purent se faire une
place au milieu des autres immigrés.
Djamel vécut
là-bas plusieurs semaines jusqu'à ce que son oncle, qui
connaissait un peu de français, soit parvenu à leur
procurer des papiers en ordre et à se faire engager dans une
cordonnerie.
Un appartement social fut mis à leur disposition ; Djamel fut
inscrit dans une école et la grand-mère assura le
ménage et la cuisine.
Elle était tout ce qui restait de la chaleur humaine qu'il
avait connue, il y a, lui semblait-il, très très
longtemps.
Djamel était un
élève exemplaire, curieux, avide d'apprendre, attentif
et studieux. Il appréciait l'attention que lui accordaient ses
professeurs.
Mais si ces derniers le félicitaient, les autres
élèves, eux, ne voyaient en lui qu'un jeune homme
pauvre, mal fringué, sans grande éducation et pas
marrant du tout.
Il ne pouvait en effet pas se permettre de frimer avec eux, ni de
sortir, ni de fréquenter leurs établissements, ni de
dépenser des sommes exorbitantes en disques, CD et gadgets de
toutes sortes.
Rejeté de la société des jeunes, il ne voyait en
ce paradis rêvé qu'une espèce de
sécurité, assurée certes, mais triste et
froide.
Sa grand-mère qui ne s'habituait pas du tout au climat et ne
s'intégrait absolument pas, mourut très vite et il dut
en plus de ses études s'occuper du ménage et parfois
même effectuer de petits boulots pour arriver à assurer
les fins de mois difficiles.
Le souvenir de ses parents et de son Irak natal restait en lui. Il était enfoui dans un coin de sa mémoire mais la moindre étincelle réveillait en lui des images de tendresse, de soleil brûlant et de souks odorants.
Arrivé à l'âge de dix-huit ans, il ne put se résigner à arrêter ses études.
Trop avide d'apprendre mais aussi trop pauvre pour se permettre l'université et devenir médecin comme il avait osé le rêver, il s'engagea dans l'armée. Il opta pour la force aérienne et fut envoyé à l'école de pilotage de Cognac. Il y devint un pilote de chasse très compétent.
Nous sommes maintenant en
1990. Les tensions sont intenses dans le Golfe.
Saddam Hussein, actuellement au pouvoir, veut que les pays arabes
s'unissent pour lutter contre les Etats-Unis qui pourraient
contrôler économiquement tout le Golfe. Il n'est pas en
reste de menaces d'attaques contre son voisin le Koweït qu'il
envahit le deux août à deux heures du matin.
L'Europe entière suit les événements à la
télévision par CNN qui en diffuse pratiquement en
direct toutes les étapes.
Dans sa caserne, Djamel est tendu, un grand branle-bas a lieu et les
injures contre l'Irak fusent de toutes parts.
L'OTAN lance l'opération "Tempête du désert".
La France y participe et envoie, entre-autres, septante de ses
meilleurs pilotes de chasse au Koweït pour combattre l'Irak.
Parmi eux se trouve un jeune homme, Djamel El Kabat, maintenant
français et torturé entre l'amour de son pays natal et
la vengeance due à ses parents et à sa famille ...
Participant à un raid
meurtrier contre une cible stratégique irakienne, quatre
avions français furent abattus. On sait que Djamel pilotait
l'un d'eux ....
Sa balise fut repérée. On est donc certain qu'il s'est éjecté, mais son corps ne fut jamais retrouvé ...