Lycée Maria Assumpta

Ivan Walraevens
Maxim Dereere
Julie Agneessens

 

L'ENFANT DE BAGDAD

 

Sous une chaleur intense, les ruelles de Bagdad sont animées de leurs bruits quotidiens.
Les artisans sont au travail. De lourdes effluves se dégagent du souk des épices. Les commerçants marchandent et entre deux affaires boivent du café.

Mais ce jour-là, la ville des califes fait grise mine.
Aucun cri, aucun rire, les voix sont discrètes, les marchandages qui habituellement s'éternisent, sont expédiés; les discussions sont imprégnées de tristesse, de révolte et surtout de crainte.

 

*

Nous sommes en octobre 1968. Le cousin de Saddam Hussein a dissous le gouvernement existant et s'est installé au pouvoir. Il a éliminé les officiers de l'ancien régime et entend bien régner en maître.
Il vient de déjouer un coup d'état et a condamné à mort tous les traîtres qui avaient osé essayer de le renverser.
Aujourd'hui le coeur de Bagdad a connu les exécutions de plusieurs d'entre-eux.
Le peuple y a assisté impuissant. La sentence devait servir d'exemple : les coupables ont été exécutés, leurs familles sont exclues à tout jamais et malheur à celui qui les défendrait.

 

*

A quelques kilomètres de là, dans la petite ville de Karbala, Djamel El Kabat pleure dans les bras de sa grand-mère et de son oncle.
Plus jamais, il ne reverra ses parents. Ils ont pourtant crié leur innocence jusqu'à la dernière minute et l'exécution a eu lieu dans la plus grande confusion.
Djamel et sa famille ne sont maintenant plus dignes d'aucun respect.
Ils sont Irakiens. Ils aimaient leur pays, leur vie, le soleil radieux, les déserts proches, les longues soirées entre amis, les souks, le couscous que les femmes préparaient avec amour et surtout cette grande chaleur humaine qui toujours les accompagnait.
Maintenant ils sont considérés comme dangereux et personne n'oserait plus jamais les côtoyer.

 

*

Ces derniers temps, Djamel avait souvent entendu ses parents parler de l'Occident comme d'un monde extraordinaire où tout est permis.
Il ne fut dès lors pas surpris d'apprendre que son oncle les emmenait en Europe.
Il reprit même courage, car là-bas, il serait libre, il pourrait étudier, avoir de nouveaux amis et vivre heureux avec ce qui lui reste de famille. Ce serait certainement un petit paradis et la vie y sera pleine de rebondissements plus palpitants les uns que les autres.

 

*

Dans le soleil couchant, un paquebot à la coque rouge s'éloigne sur les eaux couleur d'émeraude.
Dans son ventre d'acier grondent les machines. Entassée dans un compartiment à bagages, la famille El Kabat y rêve d'un univers nouveau. Bientôt, les souks, les épices, la soie, l'encens, les caravanes, ne seront plus pour eux qu'un souvenir de conte oriental.

 

*

A dix heures, la pluie tombait à Hambourg et la température n'atteignait pas dix degrés.
Après un voyage long, fatigant et inconfortable, Djamel, grelottant de froid, fit connaissance avec l'Europe.
Tristesse et froideur furent ses premières impressions.
Les gens parlaient un charabia qu'il ne comprenait pas. Ils portaient des vêtements qui lui apparurent comme aberrants et ils s'agitaient d'une manière qui lui était inconnue.
Son oncle et sa grand-mère essayaient de passer inaperçus mais leur allure inquiéta vite les douaniers qui, soupçonneux, s'avancèrent vers eux. L'allemand leur étant totalement inconnu, aucune discussion ne fut possible. Ils furent retenus à la douane pendant de longues heures au cours desquelles ils virent défiler devant leurs yeux une série de papiers incompréhensibles.
Les douaniers ont téléphoné à plusieurs endroits et après maintes discussions Djamel et sa famille furent conduits dans une gare et embarqués dans un train en partance vers Paris.

Djamel ne se souvient plus que d'une faim intense et d'un désoeuvrement total.
L'exclusion recommençait-elle ?
L'Europe n'était-elle qu'un faux paradis inventé par les Irakiens déçus de leur nouveau régime et assoiffés d'espoir ?

 

*

PARIS !!! Les grandes avenues arborées, les magnifiques monuments, les restaurants, les musées, les ponts qui enjambent majestueusement la Seine, la richesse ...
Ce sont des gendarmes qui accueillirent Djamel et sa famille à la gare et qui courtoisement les dirigèrent vers une grande maison spécialement aménagée pour recevoir des réfugiés de tous pays.
Une soupe ravigotante leur fut servie et ils purent se faire une place au milieu des autres immigrés.

Djamel vécut là-bas plusieurs semaines jusqu'à ce que son oncle, qui connaissait un peu de français, soit parvenu à leur procurer des papiers en ordre et à se faire engager dans une cordonnerie.
Un appartement social fut mis à leur disposition ; Djamel fut inscrit dans une école et la grand-mère assura le ménage et la cuisine.
Elle était tout ce qui restait de la chaleur humaine qu'il avait connue, il y a, lui semblait-il, très très longtemps.

 

*

Djamel était un élève exemplaire, curieux, avide d'apprendre, attentif et studieux. Il appréciait l'attention que lui accordaient ses professeurs.
Mais si ces derniers le félicitaient, les autres élèves, eux, ne voyaient en lui qu'un jeune homme pauvre, mal fringué, sans grande éducation et pas marrant du tout.
Il ne pouvait en effet pas se permettre de frimer avec eux, ni de sortir, ni de fréquenter leurs établissements, ni de dépenser des sommes exorbitantes en disques, CD et gadgets de toutes sortes.
Rejeté de la société des jeunes, il ne voyait en ce paradis rêvé qu'une espèce de sécurité, assurée certes, mais triste et froide.
Sa grand-mère qui ne s'habituait pas du tout au climat et ne s'intégrait absolument pas, mourut très vite et il dut en plus de ses études s'occuper du ménage et parfois même effectuer de petits boulots pour arriver à assurer les fins de mois difficiles.

Le souvenir de ses parents et de son Irak natal restait en lui. Il était enfoui dans un coin de sa mémoire mais la moindre étincelle réveillait en lui des images de tendresse, de soleil brûlant et de souks odorants.

 

*

Arrivé à l'âge de dix-huit ans, il ne put se résigner à arrêter ses études.

Trop avide d'apprendre mais aussi trop pauvre pour se permettre l'université et devenir médecin comme il avait osé le rêver, il s'engagea dans l'armée. Il opta pour la force aérienne et fut envoyé à l'école de pilotage de Cognac. Il y devint un pilote de chasse très compétent.

 

*

Nous sommes maintenant en 1990. Les tensions sont intenses dans le Golfe.
Saddam Hussein, actuellement au pouvoir, veut que les pays arabes s'unissent pour lutter contre les Etats-Unis qui pourraient contrôler économiquement tout le Golfe. Il n'est pas en reste de menaces d'attaques contre son voisin le Koweït qu'il envahit le deux août à deux heures du matin.
L'Europe entière suit les événements à la télévision par CNN qui en diffuse pratiquement en direct toutes les étapes.
Dans sa caserne, Djamel est tendu, un grand branle-bas a lieu et les injures contre l'Irak fusent de toutes parts.
L'OTAN lance l'opération "Tempête du désert".
La France y participe et envoie, entre-autres, septante de ses meilleurs pilotes de chasse au Koweït pour combattre l'Irak.
Parmi eux se trouve un jeune homme, Djamel El Kabat, maintenant français et torturé entre l'amour de son pays natal et la vengeance due à ses parents et à sa famille ...

Participant à un raid meurtrier contre une cible stratégique irakienne, quatre avions français furent abattus. On sait que Djamel pilotait l'un d'eux ....

Sa balise fut repérée. On est donc certain qu'il s'est éjecté, mais son corps ne fut jamais retrouvé ...

 

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